mercredi 28 décembre 2016

Les bandits sociaux

(rédigé par Arno Zaglia)

Nous entamons ici un article historique et parlerons de manière large des hors-la-loi qui sévissaient dans les Carpates et les Balkans. Si l'Angleterre est fière de Robin des Bois, l'Europe centrale et orientale peut être fière de ses zbójnicy, des hajduci et des betyárok.

Cortège de brigands (Sources : Domena publiczna).

La Slovaquie est fière de Juraj Jánošik. Considéré comme un héros national, Jánošik est bien plus qu'un hors-la-loi, il est un symbole du noble voleur et du rebelle affrontant la domination des Habsbourg et de l'injustice. Au début du XVIII° siècle, la Slovaquie était en proie aux tensions entre les nobles locaux et l'autorité impériale. Pris au piège entre ces tensions, la paysannerie était oppressée et dépossédée de ses biens. La pauvreté était si importante que le brigandage était malheureusement devenu un moyen de subsistance.

Né en 1688 à Terchova[1], Jánošik s'enrôla très jeune dans les troupes rebelles hongroises commandées par le comte François II Rakoczi. Fait prisonnier, il s'échappa dans les Carpates avec un autre compère et sera embrigadé dans un gang où il fit ses preuves. Il devint le harnaś, le chef des brigands. Les Carpates offraient un refuge idéal à Jánošik et sa bande. C'est une région sauvage et hostile, excellente pour se cacher ou pour faire des embuscades. De plus, les Carpates est un point de passage clé entre l'Autriche et la République des Deux-Nations (Pologne-Lituanie).

Sa force prétendue magique[2] et son sens de la justice sociale attirèrent la sympathie des populations locales mais la colère des autorités. En effet, tout ce qui était volé aux seigneurs ou aux marchands était versé aux paysans. Hélas, Jánošik est capturé en 1713 après avoir été trahi et fut pendu à un crochet de boucher. Les légendes racontent qu'il se serait lui-même jeté sur le crochet pour narguer le bourreau ou qu'il aurait dansé en proférant des insultes.

L'image du brigand au grand cœur semblerait être un mythe car si il a bien existé, Juraj Jánošik s'est forgé une légende dans un contexte de mouvement nationaliste au XIX° siècle. Les nationalistes avaient besoin d'une figure forte qui puisse rassembler les peuples et éveiller le sentiment national. Son histoire a été transmise de génération en génération pour devenir un mythe et il n'est pas exclu qu'il y ait eu des exagérations autour de ses faits d'armes. Malgré l'imprécision de ses faits, Jánošik appartient à la culture et au folklore slovaque. Il a aussi bien inspiré le cinéma, la littérature et la musique en Slovaquie qu'en Pologne. Après tout, Janosik imie, nigdy nie zginie (« le nom de Jánošik ne disparaîtra jamais »).

Attaque de betyars (Sources :
En dehors de la Pologne et de la Slovaquie, la Hongrie fut aussi un important foyer de brigandage. Divisée entre les Ottomans et les Habsbourg, de nombreux Hongrois étaient confrontés à la misère et aux discriminations à leur égard. Les betyars sévissaient plutôt au XIX° siècle. Composés pour la plupart de déserteurs, de serfs en rébellion ou d'anciens éleveurs, les betyars rançonnaient les seigneurs et épargnaient les paysans, trop pauvres pour subvenir à leurs besoins. Sándor Rózsa figure comme l'un des betyars les plus connus. Si les collines et les montagnes du Nord offraient de bonnes cachettes, la plaine de l'Alföld en offrait moins. Les betyars vont exceller dans le dressage de leur chevaux en sorte de parcourir des dizaines de kilomètres ou d'échapper aux gendarmes[3].

Haïdouks dans les Montagne de Borja, en Serbie (Source : HajduckeVode).
La dernière catégorie du brigand social est celles des haïdouks. Présents en Hongrie, ils furent très actifs dans les Balkans où ils forgeront le folklore et l'histoire de la région. Comme pour les betyars, les circonstances et les causes de leur création sont nombreuses : les guerres, les mauvaises récoltes et la discrimination fiscale[4] poussaient les petits gens dépossédés à extorquer les marchands turcs mais aussi à protéger les pauvres. Dans les montagnes de Borja, les haïdouks se planquaient dans les bois en été. En hiver, ils étaient abritaient par les sympathisants. Les haïdouks élisaient un chef, le harambaša, selon sa faculté physique, son intelligence et son expérience. Ces hors-la-loi étaient traqués et réprimés sauvagement et cette violence extrême à leur encontre et la peur de la trahison les obligeaient à dormir ou à se baigner avec leur propre arme. Les haïdouks n'étaient pas que des brigands, c'était aussi des guerriers qui opéraient comme mercenaires, gardes du corps ou espions.

Comme pour Jánošik, leur nom a été récupéré par les historiens et les folkloristes pour fonder un symbole de lutte contre la tyrannie et pour la liberté avant d'être incorporés à la culture et à la politique.

Les brigands sociaux ont beaucoup inspiré les traditions populaires malgré au point de s'écarter de la vérité, qu'elles soient volontaires ou non. Les brigands sociaux ont été instrumentalisés par les mouvements nationalistes puis communistes. Pour les premiers, ils incarnaient la liberté et la lutte contre un occupant étranger. Pour les seconds, ils étaient l'exemple des prolétaires en lutte contre les classes dominantes et le système féodale. Dans les deux cas, ils incarnaient la lutte des faibles qui faisaient justice eux-même. Pour moi, la figure du brigand social demeure plus un symbole universel d'un mouvement protestataire armé et de l'anarchiste e combattant pour la liberté et contre une autorité illégitime.

Notes en bas de page :
[1] Ville du Nord de la Slovaquie. 
[2] Selon la légende, Jánošik avait une ceinture de force magique qui le rendait invulnérable aux balles et aux flèches.
[3] Les betyars apprendront à leurs chevaux à rester couché dans le moindre fossé ou trou. Ils disparaissent du champ de vision des gendarmes.
[4] Côté Ottomans, les non-musulmans étaient fiscalement plus imposés.

Bibliographie :
Dan Cârlea, Ziarul Lumina sur De la haiducie la eroism [archive] du 26 janvier 2013.
Hajduk Vode, http://hajduckevode.biz/en/hajduci/, consulté le 23 décembre 2016.
Norman Naimark, Holly Case, Yugoslavia and Its Historians: Understanding the Balkan Wars of the 1990s, Stanford University Press, 19 févr. 2003.
Pologne immortelle, Légendes des Tatras, https://pologneimmortelle.wordpress.com/2012/05/06/legendes-des-tatras/, publié le 05/06/2012, consulté le 16/12/2016.
SEAL Graham, Outlaw Heroes in Myth and History, Anthem Press, 2011.
SLOVAKRONIK, Histoires slovaques. Le Robin des bois des Carpates, http://medias.mobi/ipj/bratislava/2016/04/13/histoires-slovaques-le-robin-des-bois-des-carpates-14/, publié le 13 avril 2013, consulté le 16 décembre 2016.

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