dimanche 26 février 2017

L’Islam en Pologne

(rédigé par Arno Zaglia)

Pendant la nuit du Nouvel an, le meurtre d’un Polonais par un commerçant d’origine musulmane a débouché sur des violences xénophobes dans la ville d’Elk. Quatre restaurants de kebab ont été vandalisés dans cette ville touristique du Nord-est. De nombreux Polonais perçoivent la présence des musulmans comme une danger à leurs traditions et à l’existence même de la Pologne. Pourtant, l’Islam en Pologne ne se limite pas à quelques convertis et immigrés. Comme pour de nombreux citoyens européens, les Polonais n’en savent rien ou très peu sur l’Islam.

Une présence vieille de plus de 600 ans

La présence de l’Islam en Pologne est attestée dès la fin du XIV° siècle avec les cavaliers de la Horde d’Or qui se sont installés en Lituanie. La première communauté musulmane était celle des Tatars lipkas ou baltiques. Si au début les premiers contacts étaient hostiles, les Lipkas ont fini par intégrer la société polonaise et lituanienne.

En effet, en récompense à leurs services dans l’armée, le Grand-Duc Witold[1] leur offrit ses terres lituaniennes au XIV° siècle. Les Tatars jouèrent aussi un rôle militaire important dans les armée lituaniennes et polonaises. Les Tatars contribuèrent à la défaite de l’ordre Teutonique à Grunwald en 1410[2]. Au niveau local, les Tatars lipkas jouissaient d’une autonomie culturelle et religieuse de telle sorte que chaque village élisait son propre mollah.

Entre 40.000 et 100.000 musulmans peuplaient la République des Deux-Nations (réunissant la Pologne et la Lituanie) à son apogée. Parmi ceux-ci se trouvaient non seulement les Tatars lipkas mais aussi des Tatars de Crimée et des membres de la Horde de Nogaï. Malgré l’opposition de la bourgeoisie, les rébellions et le sentiment anti-ottoman, le statut juridique des musulmans de Pologne s’est normalisé dès le XVI° siècle. Les civils et les militaires musulmans avaient le droit de posséder des terres et beaucoup ont intégré les villes travailler dans l’artisanat et les cours des Magnats[3].

La Constitution du 3 mai 1791 accorda finalement aux Tatars les pleins droits. Comme pour les Juifs, la liberté religieuse et l’égalité des musulmans devant la loi a progressivement été octroyée. La présence musulmane s'accrut après sa partition, la Pologne russe ayant accueilli d’autres populations musulmanes originaires d’Asie centrale et du Caucase.

Reconnaissance et déracinement

Au XIX° siècle, une trentaine de mosquées était répertoriée en Pologne. La Première Guerre mondiale et les déportations décimèrent les Musulmans de Pologne et seulement 5.500 Tatars étaient regroupés sur 18 communes. Ils militèrent pour que l’État les reconnaisse et en 1925, leur revendication est entendue : chaque commune aura un congrès de représentants.

Jakub Szynkiewicz est élu mufti et l’Union des Musulmans voit le jour. La Diète reconnaît l’Union musulmane et l’Islam en 1936, donnant à l’Union le droit d’acquérir des droits fonciers, de jouir d’une indépendance. Les fondations religieuses étaient exemptées d’impôts et de certaines taxes, la culture tatare ainsi que leurs biens étaient protégés par l’État. A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, 90% de leur terrain a été annexé par l’Union soviétique et environ 2.000 Tatars ont été déplacés ou déportés.

La transformation démocratique marqua une nouvelle vague d’arrivée musulmane. Le régime taliban en Afghanistan, les guerres de Bosnie et de Tchétchénie et les persécutions en Turquie et en Irak ont poussé de nombreux citoyens musulmans à vouloir se réfugier, étudier ou travailler en Europe. Si la Pologne demeure un pays de transit vers les pays occidentaux plus riches et plus stables, quelques Musulmans ont choisi d’y rester. Selon les autorités polonaises, entre 5 et 6.000 musulmans autochtones (Tatars et convertis) habitent la Pologne. Les immigrés inclus, le nombre approximatif se situerait entre 20.000 et 35.000.

Une minorité protégée mais menacée

La place de l’Islam et la législation qui le protège n’ont pas empêché l’islamophobie de gagner la société polonaise. Les Musulmans sont devenus les nouveaux boucs-émissaires des populistes et de quelques médias qui propagent de fausses informations[4]. Les Musulmans sont aujourd’hui devenus les victimes du contexte géopolitique et de la montée du populisme en Europe. Dans un récent sondage Ipsos, la population polonaise (et européenne) estime que le nombre de Musulmans vivant sur le territoire est supérieur au nombre réel. Ainsi, les Polonais sondés pensent que leur pays est peuplé de 7 % de Musulmans au lieu de 0,1 %.

Depuis son accession au pouvoir en 2015, le parti conservateur Droit et Justice (PiS) n’a pas hésité à utiliser une rhétorique nationaliste pour gagner les élections et gagner le soutien des Polonais effrayés par la crise migratoire, les inégalités et le terrorisme islamiste. Cette rhétorique construite sur la peur a contribué à développer un climat islamophobe au sein de la société polonaise tout comme l’antisémitisme, l’homophobie et le sexisme. Leur majorité absolue au parlement et le contrôle des médias leur a laissé le champ libre pour transmettre une image négative des Musulmans[5].

De nombreuses manifestations anti-musulmans et anti-réfugiés ont été organisées par des groupes extrémistes. Par ailleurs, des actes de vandalisme ont également (voir supra) été perpétrées contre des restaurants orientaux, des mosquées. Des agressions xénophobes sur des individus à cause de leur faciès ont été enregistrées. Si la minorité musulmane de Pologne est trop faible pour contrer seule les préjugés, elle semble avoir intégré la société civile qui est forte. Cette intégration pourrait être le seul moyen pour les Musulmans de Pologne de mieux résister à l’islamophobie et maintenir leur place dans la société.

Notes en bas de page : 
[1] Witold le Grand était le grand-duc de Lituanie de 1392 à 1430.
[2] La charge de la cavalerie légère tatare et lituanienne a servi d’appât pour attirer l’élite teutonique afin de l’encercler.
[3] De nombreux Tatars étaient employés dans la diplomatie et interprétariat.
[4] Les médias contrôlés par le gouvernement et les réseaux sociaux qui échappent au contrôle.
[5] Les Musulmans apporteraient le terrorisme, la criminalité et des maladies, selon Jaroslaw Kaczynski.

Bibliographie
Parzymies Anna, Islam en Pologne, http://tunis.msz.gov.pl/fr/cooperation_bilaterale/tunis_tn_a_161/tunis_tn_a_217/, consultée le 22 février 2017.
Jewish Virtual Library, European Muslim Population, http://www.jewishvirtuallibrary.org/european-muslim-population, consultée le 23 février 2017.
Enquête IPSOS, Perils of Perception 2016. A 40-country Study, http://perils.ipsos.com/slides/, consultée le 23 février 2017.
The Tatar Trail-Tatarska Jurta, http://www.kruszyniany.pl/szlak_eng.html, consultée le 22 février 2017.
BARAYKLI Enes, HAFEZ Farid, European Islamophobia Report, SETA, 2015, https://www.opendemocracy.net/can-europe-make-it/kasia-narkowicz-konrad-pedziwiatr/why-are-polish-people-so-wrong-about-muslims-in, consultée le 22 février 2017.

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