vendredi 29 décembre 2017

L’Intermarium : Construction régionale européenne et Géopolitique polonaise


(rédigé par Arno Zaglia, corrigé par Olivier Lancelot)

En 1918, la Pologne acquiert son indépendance après plus de 100 ans de domination étrangère, à savoir les empires d’Allemagne, d’Autriche-Hongrie et de Russie. Avant même que la communauté européenne ne voit le jour en 1957, l’idée de former une fédération européenne était déjà évoquée : la fédération d’entre deux mers ou l’Intermarium. Après avoir disparu des agendas politiques, le concept semble redevenir populaire et concret.

Le concept d’Intermarium voit le jour à la fin de la Première Guerre mondiale en Pologne. Malgré l’euphorie, le nouvel État voit sa survie menacée par l’avancée des Bolcheviques à l’Est et l’instabilité politique et sociale à l’Ouest. La renaissance de la Pologne et la désintégration de l’Empire russe est une opportunité pour Jozef Pilsudski de vouloir rétablir les anciennes frontières de la République des Deux-Nations (dès lors appelée Première République de Pologne). A son apogée, elle s’étendait de la Courlande jusqu’au Dniepr, soit de la Baltique jusque quasi la mer Noire.

La première esquisse de la fédération aurait été de fonder une nouvelle union polono-lituanienne, comprenant donc la Deuxième République de Pologne, la Lituanie mais aussi la Biélorussie actuelle et l’Ukraine. C’est ce que la première proposition prévoyait entre 1919 et 1921. Le deuxième plan de 1921 à 1935, le plus ambitieux, voulait intégrer les pays scandinaves, l’Italie, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Grèce, le Danemark et la Yougoslavie, la Pologne, l’Ukraine et les Pays baltes. Sans surprise, il échoua aussi. Enfin, le troisième plan (1935-1939), plus restreint, voulait inclure la Deuxième République de Pologne, les royaumes de Hongrie et de Roumanie mais la Seconde Guerre mondiale vint mettre définitivement un terme à l’espoir d’une fédération européenne.

Trois plans ont été imaginés et aucun ne s’est concrétisé. La faute à plusieurs raisons :
  • La première raison est la crainte de perdre à nouveau son indépendance. La Lituanie, l’Ukraine et les autres invités (Hongrie, Tchécoslovaquie) voyaient cette institution supranationale comme une menace à leur liberté à peine acquise.
  • Deuxièmement, ces pays étaient en conflit avec leurs voisins ou connaissaient des tensions diplomatiques compromettant toute chances d’alliance ou de collaboration. La Lituanie n’avait pas de relations diplomatiques avec la Pologne jusqu’en 1938, après une courte guerre concernant les régions de Wilno et de Suwalki. Bien que victorieux, les Polonais ont perdu la confiance des Lituaniens.
  • Troisièmement, les nationalismes empêchaient toute idée de fonder un État multiculturel et surtout les nationalistes polonais qui voulaient garder jalousement une Pologne ethniquement homogène.
L’idée de bâtir une alliance en vue de créer un cordon sanitaire entre l’Ouest et l’Union soviétique a lamentablement échoué à cause des tensions régionales. Une aubaine pour l’URSS et le Troisième Reich qui envahirent ces pays.

Renouveau et enjeux

Après la Seconde Guerre mondiale et l’établissement d’un régime communiste contrôlé par les Soviétiques, le concept d’Intermarium n’a plus été mis à l’ordre du jour politique. Il en fut de même lors de la chute du communisme et les adhésions à l’OTAN et l’UE, qui furent des options plus attirantes. Ainsi, l’adhésion de la Pologne à l’OTAN en 1997 et à l’UE en 2004 lui a permis de gagner en visibilité sur la scène internationale et régionale. Cela lui a également permis de sécuriser ses frontières et de renforcer ses liens avec ses voisins de l’Ouest.

Une fois ancrée à l’Ouest, il ne restait plus pour Varsovie que de sécuriser ses frontières orientales. La Pologne est l’un des plus fervents partisans de l’intégration européenne à l’Est, d’où son soutien à la Révolution Orange de 2004-2005 en Ukraine et aux gouvernements pro-européens.

Dans ce contexte, l’Intermarium n’a plus été évoqué sérieusement jusqu’à ce que des causes extérieures et européennes justifient sa réapparition.

Les causes extérieures sont l’annexion surprise de la Crimée par la Russie et son implication dans le Donbass russophone, les régions séparatistes est-ukrainiennes. Cette succession d’actions bien réfléchies et coordonnées ont poussé les Polonais à revoir leur stratégie vis-à-vis de la Russie. Il est clair pour eux que la Russie cherche à déstabiliser l’Ukraine et l’Europe. Ce sentiment de menace est d’autant plus exacerbé par le manque de réaction de l’UE et de l’OTAN et ce, malgré les avertissements de la Pologne et des Pays baltes. Les Ukrainiens, les Polonais et les Baltes sont non seulement déçus vis-à-vis de ces deux institutions mais elles commencent à douter de leur efficacité.

Quant au niveau européen, l’hégémonie économique et politique allemande ainsi que les pressions et les critiques virulentes de l’UE à l’égard de leur politique intérieure et migratoire ont donné à la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, la Roumanie et les Pays baltes le sentiment d’être relégués au rang d’États périphériques. Avec une Europe qui cherche à imposer sa volonté aux États membres et son impopularité croissante, l’Intermarium est un moyen de prendre ses distances avec Bruxelles mais surtout de se réorganiser sur une base régionale.

La fédération Intermarium serait plus qu’un club de pays périphériques de l’UE, c’est également une garantie de sécurité et de stabilité pour l’après UE réunissant les pays liés par l’Histoire, la géographie, l’économie et la géopolitique. Le concept semble désormais se concrétiser avec la fondation de l’Initiative des trois mers en 2016. Il s’agit d’un forum intergouvernemental composé des membres du groupe Visegrad (Pologne, Hongrie, Slovaquie et République tchèque), des trois Pays baltes (Lituanie, Lettonie et Estonie), de la Roumanie, de la Bulgarie, de l’Autriche, de la Slovénie et de la Croatie. A elle seule, elle lie la mer Baltique, la mer Noire et la mer Adriatique. Les gouvernements travaillent sur le projet d’une ligne de communication reliant Klaipeda à Thessalonique ainsi que sur des infrastructures de gaz naturel liquéfié dont des terminaux en Pologne et en Croatie et un pipeline de raccordement. L’objectif est déjà de s’affranchir du gaz russe, arme géopolitique aux mains du Kremlin.

L’Europe alternative

Le concept d’Intermarium a changé en 100 ans. D’abord, cherchant une Europe unie et fédérale, l’Intermarium est devenu une sorte de troisième voie politique, une alternative à l’UE : celle d’une Europe conservatrice avec des États souverains luttant aussi bien contre le projet néoimpérialiste russe (Union eurasiatique) mais aussi contre le projet fédéraliste et libéral émanant de Bruxelles (États-Unis d’Europe). S’il est vrai que le mouvement a été détourné par l’extrême-droite et des gouvernements non libéraux, la volonté de fédérer des États européens contre une menace commune pourrait bien faire marcher le concept. Les griefs du passé ne semblent pas pour le moment fragiliser le nouveau clan européen et l’UE semble même encourager ce genre d’initiative régionale du moment qu’elle n’empiète pas sur les compétences de l’UE ou de l’OTAN. Pour l’instant, l’Initiative des trois mers démarre bien. La question qu’il faut se poser concerne son intégration post-UE : restera-t-elle un forum intergouvernemental ou évoluera-t-elle vers une confédération d’États indépendants ou une entité supranationale ?

Bibliographie

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