vendredi 13 janvier 2017

Pologne : un an de crise politique

(rédigé par Arno Zaglia, mis à  jour le 03 février 2017)

Le 16 décembre 2016, la colère a grondé en Pologne. A Varsovie, des milliers de manifestants ont bloqué l'entrée de la Diète (Sejm) pour protester contre un nouveau projet de loi du gouvernement, celui de limiter l'accès aux journalistes aux débats parlementaires. Cela fait déjà un an que les conservateurs-populistes du parti Droit et Justice (PiS) sont entrés dans un bras de fer avec l'opposition. Après avoir modifié la loi autour de la nomination des juges du Tribunal constitutionnel, d'avoir fait mainmise sur les médias et de planifier la pénalisation du droit à l'avortement[1], le gouvernement conservateur est à nouveau dans le collimateur de la rue qui dénonce les atteintes à l’État de droit. 

Pourquoi l'arrivée du PiS ?

Au pouvoir depuis octobre 2015, le nouveau gouvernement cherche à suivre le même chemin que la Hongrie de Victor Orban : instaurer un gouvernement fort avec la bénédiction du pouvoir législatif afin de pouvoir modifier la constitution de l’État.

L'arrivée du PiS en Pologne est la conséquence de différentes circonstances. Premièrement, la frustration. La Pologne est l'un des rares pays de l'Union européenne à enregistrer une croissance positive et malgré la crise de 2008-2009. Cependant, la croissance économique de ces 28 années n'a pas profité à tout le monde. Avec la thérapie de choc post-communiste, de nombreuses compagnies ont été privatisées et cela à contribué à une explosion de la misère et du chômage. Si la Pologne d’aujourd’hui n'est plus celle des années 90, cela n'a pas empêché pas de nombreux polonais de faire des petits boulots faiblement payés malgré leur qualification élevée. De plus, l'accès aux soins de santé est très compliqué en Pologne. La bureaucratie oblige le citoyen polonais à attendre plusieurs jours pour un rendez-vous, la privatisation de certains hôpitaux exclus les revenus modestes et les coûts des prestations et des médicaments sont un gouffre financier pour les ménages. De plus, les retraites en Pologne sont insuffisantes[2].

Deuxièmement, la Pologne est confrontée à une autre problématique, l’émigration des Polonais. Le solde migratoire est négatif et depuis son adhésion à l'UE en 2004 au moins un million de Polonais ont quitté leur pays pour travailler en Allemagne, en Irlande et au Royaume-Uni. La Pologne doit une partie sa croissance aux investissements étrangers et à l'implantation de sociétés étrangères. Le pays attire beaucoup les entreprises en raison de sa main d’œuvre bon marché et qualifiée. Entre 1998 et 2015, les grandes chaînes de hypermarchés, de banques et de bureaux ont porté un coup dur aux petits commerces. Bien entendu, ces grandes chaînes étrangères comme Auchan ou Tesco ne payent pas assez d'impôts.

Troisièmement, le taux de participation était encore bas. 50 % des Polonais en âge d'aller voter se sont déplacés pour les législatives de 2015. Ce n'est pas la première fois que la Pologne est confrontée à un désintérêt du politique. La dictature communiste et la professionnalisation du milieu politique expliquent cette méfiance. De plus, la transition démocratique a vu naître des petits partis éphémères et des candidats qui changeaient de mouvance et de programme comme « on changerait de chaussettes ». Le Polonais se sent donc confus, désillusionné et délaissé par la classe politique qui n'est pas confrontée aux réalités. Pour finir, les mouvances populistes ont réussi à gagner des voix.

C'est dans cette société désillusionnée par le progrès que de nombreux Polonais ont voté pour les conservateurs. La mondialisation, la crise migratoire, les normes de l'Union européenne et la dérégulation du marché seraient les causes de leur situation précaire et de l’effritement des valeurs polonaises. Aussi bien le PiS que les populistes ont réussi à exploiter ce sentiment. Les Polonais ont été davantage heurté par le discours socio-économique du PiS[3] que par ses valeurs conservatrices. En troisième position, le parti de l'ancien punk Kukiz se revendique comme un parti anti-establishment et anti-partitocratique.

La Pologne est économiquement coupée en deux. L’Ouest est industrialisé et développé mais essoufflé tandis que l’Est est rural et en croissance rapide. Si l’Ouest avait voté majoritairement pour la Platte-forme civique (PO) en 2007 et 2011, la roue vient de tourner en 2015.

La rue contre-attaque

Pendant les élections législatives d'octobre 2015, le PiS a recueilli 37% des votes mais pour 50 % de participation. Seulement 18,5 % de la population en âge d'aller voter a permis à la candidate Beata Szydlo de devenir Premier ministre. Pourtant, le système électoral a donné au PiS la majorité absolue à la Diète, une première depuis 1989.

Ces élections ont aussi marqué la mise au ban des partis de gauche traditionnels. Pas un seul socialiste, communiste, vert ou social-démocrate n'est représenté. La majorité absolue du PiS combinée avec fébrilité de l'opposition lui a permis de reprendre sa revanche après huit années de cure d'opposition. Revanche contre une classe politique qui s'est enrichie au détriment des citoyens et revanche contre les valeurs européennes perçues comme contraires aux valeurs nationales. Les opposants polonais racontent avec ironie que ce n'est ni le président Duda ni le premier ministre Beata Szydlo qui gouvernent mais bien Jaroslaw Kaczynski, le président du PiS, ancien Premier ministre et frère du défunt président mort dans un accident d'avion à Smolensk en 2010.

Si les conservateurs semblent être tout puissants au Parlement, le PiS n'a pas le soutien total de la population et se heurte à une opposition sérieuse. Un mouvement citoyen a vu le jour suite à la victoire des conservateurs : le Comité de défense de la démocratie (KOD). Née en novembre 2015, le mouvement a été fondé par un informaticien de 48 ans, Mateusz Kijowski. Si les Polonais ont perdu leur confiance aux politiques, il n'ont pas perdu leur capacité à protester. La société civile polonaise a encore gardé les réflexes de Solidarność. Le KOD voit des dérives dignes du régime communiste : contrôle des médias, opacité du vote budgétaire, réécriture de l'Histoire. De plus, le KOD dénonce une entente entre le Gouvernement et l’Église catholique. En réponse, le Gouvernement se justifie en déclarant qu’il ne fait que pratiquer ce que tous les gouvernements ont fait pendant leur mandat, les libéraux y compris.

Le climat s'est fortement dégradé à tel point que les sympathisants des deux parties se traitent comme des pestiférés. Les théories du complot et les fausses informations circulent, la plus connue est celle de la mort de Lech Kaczynski en 2010 à Smolensk. Pour le frère de ce dernier et une partie de la population, cet accident est un complot russe et des libéraux qui étaient au pouvoir.

Pour conclure, le mouvement populaire semble plus ferme au fil du temps et les événements du 16 décembre sont une étape de plus dans cet enlisement politique. Les manifestants ont bloqué l'accès à la Diète et l'opposition a squatté l'hémicycle, obligeant la majorité a se réunir dans une autre salle. Jamais la Pologne n’a été confrontée à une crise politique depuis la chute du communisme en 1989. La Pologne voit en plus des clivages se creuser. Enfin, la Pologne se trouve maintenant profondément divisée autours des valeurs européennes, des valeurs traditionnelles, de la place de l’Église catholique dans l’État polonais ainsi que la place de la Périphérie et du Centre.

Notes en bas de page :
[1] Selon le compromis de 1993 entre l’Église catholique et l’État polonais, l'IVG est accordée en cas de viol, d'inceste ou de risques de santé pour l'embryon ou la mère. 
[2] 830 zlotys en 2013, soit à peu près 200 euros.
[3] Le PiS prévoyait de taxer les banques et les les hypermarchés étrangers, de diminuer l'âge de la retraite, des médicaments gratuits pour les seniors, encourager les investissements polonais à l'étranger et au pays,etc. 

Bibliographie
Camus Jean-Yves, Quand le plombier polonais défend la démocratie, Charlie Hebdo n°1275, 28 décembre 2016.
Polska agencja Prasowa, consultée en stage entre septembre et novembre 2015.
 OECD, Panorama des pensions 2013. La Pologne, p.131-136, http://www.oecd.org/fr/els/pensions-publiques/PAG2013-profil-Pologne.pdf, consulté le 11 janvier 2017.
Polityka Insight, consulté en stage entre septembre et novembre 2015.
Riondet Anna, Emigration. La Pologne revoit sa population à la baisse, Le petit journal, http://www.lepetitjournal.com/varsovie/actu-varsovie/83019-emigration-la-pologne-revoit-sa-population-a-la-baisse.html, consulté le 5 janvier 2017, 28 juillet 2011.
Was vliegtuigcrash in Polen een complot? Knack, http://www.knack.be/nieuws/buitenland/was-vliegtuigcrash-in-polen-een-complot/article-4000277994936.htm, consulté le 12 janvier 2017, 11 avril 2013.

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